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L’enfant de Tchernobyl

Inauguration de la statue « L’enfant de Tchernobyl »
24 mars 2018

Monsieur Jean-Marc Rochette,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

C’est une journée de printemps comme les autres. Le matin du 26 avril, un soleil radieux se lève sur la ville de Pripyat, « la ville de l’atome », construite en même temps que la centrale nucléaire de Tchernobyl.

La vie suit son cours habituel, chacun vaque à ses occupations du week-end.

Les enfants jouent dans les squares et mangent les fruits des jardins.
En fin de journée, la radioactivité atteint 600 000 fois la norme acceptée. Car dans la nuit, le réacteur n°4 de la centrale a explosé.

Sans bruit, des centaines de milliers d’hommes, ceux qu’on appellera les « liquidateurs », convergent vers Tchernobyl pour évacuer et nettoyer les débris radioactifs. Ils ont dans la bouche un étrange goût métallique. Nombre d’entre eux y laisseront leur vie.

On identifie encore mal l’étendue du secret gardé à cette époque par les autorités politiques sur les conséquences sanitaires de la « catastrophe ». Autour de la centrale, la nature a repris ses droits, les arbres ont poussé dans les maisons vides, les sangliers sont nombreux, des familles se sont réinstallées à quelques dizaines de kilomètres de Pripyat.

Les printemps se suivent, les enfants jouent dans les squares et mangent les fruits des jardins.

Car ce n’est pas dans le paysage que s’observent les conséquences de la catastrophe nucléaire. C’est dans le corps de ses enfants.

A la fin des années 90, le photographe Paul Fusco s’est rendu en Ukraine et en Biélorussie. Ce qu’il a vu, il a voulu en témoigner auprès du grand public. Il a fallu des années pour que ses photographies soient publiées.
Aujourd’hui, après Tchernobyl et Fukushima, nous savons, mais nous pouvons choisir de ne pas voir.

« Allons ! Fabriquons des briques et flambons-les à la flamme ! »
« Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet atteindra les cieux, et faisons-nous un nom fameux, de peur que nous ne soyons dispersés par toute la terre. »

Ces mots sont ceux des hommes construisant la tour de Babel. Les enfants de Tchernobyl nous rappellent que nous ne pouvons ignorer les conséquences de la volonté de puissance. Nous ne pouvons nous contenter de les cacher. Il nous faut, ensemble, construire les conditions d’un monde soutenable.

Il est nécessaire que nous gardions à l’esprit ce que ces enfants nous disent. Au-delà des argumentaires et des statistiques, le regard des artistes nous donne à ressentir ce choc, cette indignation qui nous pousse à ne pas rester immobiles, à ne pas être lâches, car nous faisons partie du monde d’après la catastrophe.

Car c’est quand on sait que la catastrophe est possible, quand elle est présente à nos esprits, que l’on a l’énergie de transformer les choses.
Isaac Asimov disait que « les auteurs de science-fiction prévoient l’inévitable,
et bien que les problèmes et les catastrophes puissent être inévitables les solutions, elles, ne le sont pas. »

Monsieur Jean-Marc Rochette, vous avez passé votre jeunesse à Grenoble, vous avez été happé par la montagne qui nous entoure, cette montagne qui nous rappelle chaque jour notre modeste condition d’hommes. Votre œuvre est traversée par la tragédie nucléaire et la supériorité incontestable de la nature sur l’humanité.

Je tiens à vous remercier, au nom de la Ville de Grenoble et des Grenoblois, pour le don de cette œuvre dont je souhaite que nous prenions grand soin.

Autour d’elle, les enfants continueront de jouer dans les squares et de manger les fruits des jardins. Autour d’elle le printemps continuera de fleurir. Et nous garderons à l’esprit la responsabilité collective qui est la nôtre de changer le monde, pour pouvoir soutenir le regard de l’enfant de Tchernobyl.

Je vous remercie.