Sophie CALLE – Aveugle au lever de soleil, appartenant à l’ensemble La Dernière Image, 2010
Texte : « C’était le 14 mars 2004, vers 7 heures. J’ai fait la prière du matin et je suis allé au balcon de ma chambre d’hôpital regarder le soleil se lever. Je me suis demandé s’il se lèverait encore pour moi. Je savais à quel point l’opération était critique. J’avais surpris une conversation entre mes parents et le médecin : 85% de chances d’y passer et les 15% restants se partageaient entre paralysie, fonctions rénales affectées, perte de la vue et guérison complète. J’avais mis « aveugle » en seconde position. J’ai regardé la mer au loin derrière les immeubles, le soleil dans les nuages, le passage de l’obscurité à la lumière. Comme si c’était la dernière fois. »
Sophie Calle se dit « artiste narrative ». A partir de la vie quotidienne d’inconnus, elle imagine des scénarios entre réel et fiction, dans lesquels elle joue un rôle, et produit d’insolites inventaires. Traquant l’intimité des protagonistes, usant de procédés qui rappellent parfois ceux de la presse à scandale ou d’enquêtes policières, elle mène des investigations minutieuses (Suite vénitienne, 1980; Autoportrait à la filature, 1981) ou grinçantes, interrogeant par exemple, en 1986, des aveugles de naissance sur leur sentiment de la beauté.
La Dernière image renoue avec la série Les Aveugles dont Carré d’Art possède un ensemble d’oeuvres et le thème de l’autobiographie en donnant la parole à l’Autre, aveugle de naissance ou privé de la vue suite à un accident, dans sa différence et sa singularité. A travers une dialectique entre les témoignages de plusieurs générations d’aveugles et les travaux photographiques qu’elle a menés à partir de ces récits, Sophie Calle propose une réflexion sur l’absence, sur la privation et la compensation d’un sens, sur la notion de visible et d’invisible.
Sophie Gauthier
décembre 2019
Stan DOUGLAS – Abbott and Cordova 7 August 1971, 2008
« Tout comme Ken Lum, Roy Arden, avant eux Ian Wallace, Jeff Wall et Rodney Graham, liés par leur approche conceptuelle du médium photographique ou cinématographique, Stan Douglas fait partie du mouvement appelé Ecole de Vancouver. L’espace de représentation, fictionnalisé, est chez lui largement ouvert à une réalité sociale, économique et politique et une réflexion sur les médias. Par les références à l’histoire de Vancouver, musicales (free jazz), littéraires et l’usage d’images d’archive, il croise sa réflexion sur l’impact des médias, leur réception, avec une réflexion sur l’échec des utopies. Il réactive l’histoire en empruntant à la forme cinématographique, le cinéma étant lié à la ville de Vancouver et à l’imaginaire collectif.
Abbott and Cordova 7 August 1971 est la photographie du croisement de deux rues de Gastown, un quartier historique de Vancouver, où se rejoue l’intervention policière contre une manifestation pacifique hippie pour la légalisation de la marijuana. Cette oeuvre a tout d’abord été présentée dans l’espace public, commandée et installée en façade de l’édifice Woodward à Vancouver sur le site de l’évènement, interrogeant l’affiche publicitaire contemporaine, et réactualisant des faits appartenant à l’histoire. Dans cette photographie, cinquante photographies numériques différentes ont été réunies afin de constituer un ensemble pictural complexe composé de scènes distinctes. »
Sophie Gauthier
décembre 2019
Stan DOUGLAS – Skyline, 2017
« L’espace de représentation, fictionnalisé, est chez Stan Douglas largement ouvert à une réalité sociale, économique et politique et une réflexion sur les médias. Par les références à l’histoire de Vancouver, musicales (free jazz), littéraires et l’usage d’images d’archive, il croise sa réflexion sur l’impact des médias, leur réception, avec une réflexion sur l’échec des utopies. Il réactive l’histoire en empruntant à la forme cinématographique, le cinéma étant lié à la ville de Vancouver et à l’imaginaire collectif.
Skyline a été prise à New York. Elle fait partie de la série Blackout, moment de pannes électriques qui ont plongé la ville dans l’obscurité totale. Stan Douglas a fait de nombreuses recherches sur les dérèglement des blackouts de 1977, en 2003 et celui lié à la tempête Sansy de 2012. En 1977, il y avait beaucoup de cambriolages et d’agressions mais en 2003, au contraire après le 11 septembre les habitants de New York se sont entraidés. Cette image suit un scénario hypothétique pouvant subvenir dans un futur proche. L’image comme toutes les oeuvres de Stan Douglas est composée de plusieurs images ce qui nécessite un important travail de post-production. »
Sophie Gauthier
janvier 2020
LaToya Ruby FRAZIER – Pier 54 – A human right to Passage, 2014
« Les huit impressions photographiques noir et blanc de la performance scénarisée de LaToya Ruby Frazier montrent l’artiste habillée de blanc sur le quai 54 de New York, brandissant des drapeaux sur lesquels sont visibles des photographies provenant de la bibliothèque du Congrès face à des points de vue de New York très précisément choisis qui font écho à l’histoire de la ville, notamment les déplacements de personnes, le passage ou la rétention des migrants. Le quai 54, où débarquèrent en 1912 les rescapés du Titanic, est en cours de gentrification, la mémoire en disparaissant progressivement. Les photographies imprimées sur toile de jean rendent hommage à la toile dite « denim », originaire de Nîmes en sachant qu’il y a une forte probabilité que le fabriquant nîmois ait débarqué sur le quai 54. Actuellement, Levis dénie l’origine française de la toile de jeans. L’acier fait référence au portique d’entrée du quai 54.
Latoya Ruby Frazier s’est fait connaître par son travail photographique The Notion of Family qu’elle poursuit depuis plusieurs années, ayant pour sujet la réalité politique et sociale de Braddock sa ville natale, banlieue ouvrière de Pittsburg. Cette série révèle le caractère performatif de son travail qui n’est pas sans avoir une dimension activiste. »
Sophie Gauthier
décembre 2019
Sigmar POLKE – Flüchtende, 1992
« Sigmar Polke artiste incontournable de l’art allemand a été formé à l’Académie de Düsseldorf auprès de Gerhard Richter présent également dans la collection de Carré d’Art. Sigmar Polke a travaillé à renouveler la peinture traditionnelle en innovant tant dans le support (textiles imprimés, tissus transparents), que dans l’usage de pigments peu communs (lapis-lazuli, malachite, orpiment) ou dans le choix de sujets qui illustrent le regard lucide et sans concession qu’il porte sur le monde. De nombreuses œuvres, utilisant gravures anciennes ou images de presse, donnent une dimension politique et historique à son travail comme Flüchtende ou Les Quatre saisons (1988) œuvre commémorant le bicentenaire de la révolution française de 1789.
« Flüchtende, en français les fugitifs, s’inspire d’une photographie prise lors de l’édification du mur de Berlin et représente deux personnes en train de courir avec leurs bagages vers ce qui apparaît, figuré par un tissu à rayures, comme une frontière hérissée de barbelés. Se détachant sur un fond jaune translucide, les silhouettes, rendues par une trame photographique très agrandie, sont soulignées d’un cerne vert peint au revers avec une bombe aérosol. Peinture d’une grande économie de moyens, le tableau traite avec puissance et efficacité de la question des réfugiés. Que l’artiste ait choisi cette image d’archives, trois ans après la chute du mur de Berlin, peut surprendre. De fait, soustrait à la seule histoire allemande et arraché à l’oubli du passé, ce document devient, sous les pinceaux de Polke, l’icône de tous ceux qui, hier comme aujourd’hui, doivent fuir leur pays pour sauver leur vie et leur liberté. » [Guy Tosatto, in Guide de la collection, Carré d’Art – Musée d’art contemporain de Nîmes, Réunion des Musée nationaux, Paris, 2001, p. 101] »
Sophie Gauthier
décembre 2019
Taryn SIMON – Chapter VII, A Living Man Declared Dead and Other Chapters I – XVIII de la série A Living Man Declared Dead and Other Chapters, 2011
« Le travail de Taryn Simon sur le thème de l’archive en 18 chapitres avec sa série A Living Man Declaread Dead and Other Chapters est le fruit de quatre années de recherches de 2008 à 2011 durant lesquelles l’artiste a voyagé de par le monde pour relater les histoires de différentes lignées. Dans chacun des chapitres qui composent l’œuvre, des influences extérieures, qu’elles soient territoriales, circonstancielles, religieuses ou liées au pouvoir, se heurtent à celles plus intimes des héritages physiques et psychologiques. Elle a pour sujet des victimes du génocide en Bosnie, des lapins de laboratoire contaminés par des maladies mortelles en Australie, la première femme à détourner un avion ou encore les paysans dépossédés de leurs terres en Inde. Dans cette série, elle démontre les capacités du médium photographique à sonder les histoires complexes de sociétés contemporaines tout en les classifiant selon des procédés d’archivage dans un système qui relie les notions d’identités, de généalogie, d’histoire et de mémoire.
Dans ce triptyque est évoquée la guerre en Bosnie avec le massacre de Srebenica commis en 1995 et qui fut le plus important d’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Pendant cinq jours, des soldats serbo-bosniaques exécutèrent de façon méthodique 8000 musulmans serbes, adultes et adolescents. Sous le commandement du Général Ratko Mladic, des unités de l’Armée de la Republika Srpska ont attaqué une zone déclarée de sécurité par l’Organisation des Nations Unies. Minoritaires, les troupes néerlandaises chargées de la défense du camp n’étaient pas équipées pour se défendre. A l’intérieur de cet espace, comme dans les régions avoisinantes, les musulmans se virent encerclés puis battus, avant d’être tués. Ils furent enterrés dans des fosses communes, certains encore vivants. Des membres désarticulés furent retrouvés sur un deuxième site mortuaire, signe que les dépouilles avaient été éparpillées dans une tentative d’effacer les traces. »
Sophie Gauthier
juin 2020
Hito STEYERL (Hitomi STEYERL, dit) – Guards, 2012
« Hito Steyerl est réalisatrice dans le domaine du documentaire vidéo, essayiste. Ses sujets de prédilection sont les médias, la technologie et la circulation mondialisée des images. Elle a étudié à l’Institut de l’Image en Mouvement au Japon. Elle a ensuite fréquenté l’Université du Film et de la Télévision de Munich. Hito Steyerl a déclaré qu’étudier pendant les années d’or du Nouveau Cinéma allemand a eu une influence sur son travail. Son professeur Helmut Färber, un éminent historien du cinéma, a été une source d’inspiration directe pour elle.
Guards (Gardiens) est une vidéo réalisée en 2012 qui montre des gardiens de musée qui sont d’anciens militaires en train de simuler une attaque ou bien une défense. Les silhouettes noires des gardiens situées au premier plan font écho aux silhouettes photographiées en arrière plan. Personnages immobiles et personnages en mouvement rejouent des scènes réelles et toujours d’actualité. »
Sophie Gauthier
décembre 2019