praxis, éthique, bien, mouvement, nature, syllogisme, catégories, accident, causes
Science
La science comprend pour Aristote trois grands domaines : la science spéculative ou théorique, la science pratique et la science productive.
- La science spéculative constitue la meilleure utilisation que l’homme puisse faire de son temps libre. Elle est composée de la « philosophie première » ou métaphysique, de la mathématique et de la physique, appelée aussi philosophie naturelle.
- La science pratique tournée vers l’action (praxis) est le domaine de la politique et de l’éthique.
- Enfin, la science productive couvre le domaine de la technique et de la production de quelque chose d’extérieur à l’homme. Entrent dans son champ l’agriculture, mais aussi la poésie, la rhétorique et, de façon générale, tout ce qui est fait par l’homme.
La logique, quant à elle, n’est pas considérée par Aristote comme une science, mais comme l’instrument qui permet de faire progresser les sciences. Exposée dans un ouvrage maintenant connu sous le titre d’Organon, elle repose sur deux concepts centraux : le syllogisme, qui marquera fortement la scolastique, et les catégories (qu’est-ce ? où est-ce ? quand est-ce ? combien ? etc.).
La vertu éthique, selon Aristote, est en équilibre entre deux excès. Ainsi, un homme courageux ne doit être ni téméraire, ni couard. Il en découle que l’éthique aristotélicienne est très marquée par les notions de mesure et de phronêsis (en français prudence ou sagacité). Son éthique, tout comme sa politique et son économie, est tournée vers la recherche du Bien. Aristote, dans ce domaine, a profondément influencé les penseurs des générations suivantes. En lien avec son naturalisme, le Stagirite considère la cité comme une entité naturelle qui ne peut perdurer sans justice et sans amitié (philia).
Syllogisme
La démonstration aristotélicienne repose sur le syllogisme qu’il définit comme « un discours dans lequel, certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement par le seul fait de ces données ». Le syllogisme repose sur deux prémisses, une majeure et une mineure, desquelles on peut tirer une conclusion nécessaire. Exemple : Majeure : les êtres humains sont mortels. Mineure : les femmes sont des êtres humains. Conclusion : les femmes sont mortelles.
Un syllogisme scientifique doit pouvoir identifier la cause d’un phénomène, son pourquoi. Ce mode de raisonnement pose la question de la régression à l’infini qui survient, par exemple, quand un enfant nous demande pourquoi telle chose fonctionne comme cela, et qu’une fois la réponse donnée, il nous interroge sur le pourquoi de la prémisse de notre réponse. Pour Aristote, il est possible de mettre fin à cette régression à l’infini en tenant certains faits venant de l’expérience (induction) ou venant d’une intuition comme assez certains pour servir de base aux raisonnements scientifiques. Toutefois, pour lui, la nécessité de tels axiomes doit pouvoir être expliquée à ceux qui les contesteraient.
Dialectique
Pour Platon, le mot « dialectique » a deux significations. Il s’agit d’abord de « l’art de procéder par questions et réponses » pour arriver à la vérité. En ce sens, elle est au centre de la méthode philosophique comme en témoignent les nombreux dialogues platoniciens. La dialectique est aussi, pour Platon « l’art de définir rigoureusement une notion grâce à une méthode de division, ou méthode dichotomique ». Pour Aristote, au contraire, la dialectique n’est pas très scientifique, puisque son argumentation est seulement plausible. Par ailleurs, il tient les divisions de la chose étudiée comme subjectives et pouvant induire ce que l’on veut démontrer. Malgré tout, pour lui, la dialectique est utile pour tester certaines opinions crédibles (endoxa), pour ouvrir la voie à des principes premiers ou pour se confronter à d’autres penseurs. D’une façon générale, le Stagirite assigne trois fonctions à la dialectique : la formation des êtres humains, la conversation et la « science conduite d’une manière philosophique (pros tas kata philosophian epistêmas) ».
Aristote et Platon reprochent aux sophistes d’utiliser le verbe, la parole, à des fins mondaines, sans chercher la sagesse et la vérité, deux notions proches chez eux. Dans son livre Réfutations sophistiques, Aristote va jusqu’à les accuser de recourir à des paralogismes, c’est-à-dire à des raisonnements faux et parfois volontairement trompeurs.
Nature
Selon Aristote, les êtres naturels, quels qu’ils soient (pierre, vivants, etc.), sont constitués des quatre premiers éléments d’Empédocle auxquels il ajoute l’éther, qui occupe ce qui est au-dessus de la Terre.
- la Terre, qui est froide et sèche : correspond de nos jours à l’idée de solide.
- l’Eau, qui est froide et humide : c’est de nos jours l’idée de liquide.
- l’Air, qui est chaud et humide : c’est de nos jours l’idée de gaz.
- le Feu, qui est chaud et sec : correspond de nos jours à l’idée de plasma et de chaleur.
- l’Éther, substance divine dont sont faites les sphères célestes et les corps lourds (étoiles et planètes).
La nature, selon Aristote, possède un principe interne de mouvement et de repos. La forme, l’essence des êtres, détermine la fin, de sorte que, pour le Stagirite, la nature est à la fois cause motrice et fin. Il écrit : « La nature, dans son sens primitif et fondamental, c’est l’essence des êtres qui ont, en eux-mêmes et en tant que tels, leur principe de mouvement ». Il établit également une distinction entre les êtres naturels, qui ont ce principe en eux-mêmes, et les êtres artificiels, créés par l’homme et qui ne sont soumis à un mouvement naturel que par la matière qui les compose, de sorte que pour lui : « l’art imite la nature ».
Par ailleurs, dans la pensée d’Aristote, la nature est dotée d’un principe d’économie, ce qu’il traduit par son célèbre précepte : « la nature ne fait rien en vain ni rien de superflu ».
Les 4 causes
Aristote développe une théorie générale des causes qui traverse l’ensemble de son œuvre. Si, par exemple, nous voulons savoir ce qu’est une statue de bronze, nous devrons connaître la matière dont elle est faite (cause matérielle), la cause formelle (ce qui lui donne forme, par exemple, la statue représente Platon), la cause efficiente (le sculpteur) et la cause finale (garder mémoire de Platon). Pour lui, une explication complète requiert d’avoir pu mettre en lumière ces quatre causes.
- Cause matérielle : elle est définie par la nature de la matière première dont l’objet est composé (le mot nature pour Aristote se réfère à la fois à la potentialité du matériau et à sa forme finie ultime).
- Cause formelle : Ce concept fait référence à celui de forme dans la philosophie aristotélicienne. Par exemple la cause formelle d’une statue d’Hermès est de ressembler à Hermès.
- Cause efficiente : C’est par exemple le sculpteur qui sculpte la statue d’Hermès.
- Cause finale : En grec, telos. C’est le but ou la fin de quelque chose. C’est la raison pour laquelle une statue d’Hermès a été réalisée. Les spécialistes d’Aristote estiment en général que, pour lui, la nature a ses propres buts, différents de ceux des hommes.
Accident, puissance, changement
Chez Aristote, la substance est ce qui appartient nécessairement à la chose alors que l’accident est « ce qui appartient vraiment à une chose, mais qui ne lui appartient ni nécessairement ni la plupart du temps ». La puissance ou potentialité (dunamis) fait écho à ce que pourrait devenir l’être. Par exemple, un enfant peut, en puissance, apprendre à lire et à écrire : Il en a la capacité. La puissance est le principe d’imperfection, et celui-ci est modifié par l’acte, qui entraîne le changement.
L’acte (energeïa) « c’est ce qui produit l’objet fini, la fin. C’est l’acte, et c’est en vue de l’acte que la puissance est conçue ».
L’entéléchie (en telos echeïn) « signifie littéralement le fait d’avoir (echein) en soi sa fin (telos), le fait d’atteindre progressivement sa fin et son essence propre ».
Ces notions permettent au philosophe d’expliquer le mouvement et le changement. Aristote distingue quatre types de mouvement : en substance, en qualité, en quantité et en lieu. Le mouvement, chez lui, est dû à un couple : un pouvoir (ou potentialité) actif, extérieur et opératif, et une capacité passive ou potentialité interne qui se trouve dans l’objet subissant le changement. L’entité cause d’un changement transmet sa forme ou essence à l’entité touchée. Par exemple, la forme d’une statue se trouve dans l’âme du sculpteur, avant de se matérialiser par le biais d’un instrument dans la statue. Enfin, pour lui, dans le cas où il existe une chaîne de causes efficientes, la cause du mouvement réside dans le premier maillon.
Pour qu’il y ait changement, il faut qu’il y ait une potentialité, c’est-à-dire que la fin inscrite dans l’essence n’ait pas été atteinte. Toutefois, le mouvement effectif n’épuise pas forcément la potentialité, ne conduit pas forcément à la pleine réalisation de ce qui est possible. Aristote distingue entre le changement naturel (phusei), ou en accord avec la nature (kata phusin), et les changements forcés (biâi) ou contraires à la nature (para phusin). Aristote suppose donc en quelque sorte que la nature régule le comportement des entités et que les changements naturels et forcés forment une paire contraire. Les mouvements que nous voyons s’effectuer sur Terre sont rectilignes et finis ; la pierre tombe et reste au repos, les feuilles volent et tombent, etc. Ils sont donc imparfaits, comme l’est de façon générale le monde sublunaire. Au contraire, le monde supralunaire, celui de l’éther « inengendré, indestructible, exempt de croissance et d’altération », est celui du mouvement circulaire, éternel.
Le mouvement et l’évolution n’ont pas de commencement, car la survenue du changement suppose un processus antérieur. De sorte qu’Aristote postule que l’univers dépend d’un mouvement éternel, celui des sphères célestes qui, lui-même, dépend d’un moteur éternellement agissant. Toutefois, à la différence de ce qui se passe habituellement chez lui, le premier moteur ne transmet pas la puissance agissante dans un processus de cause à effet. En effet, pour Aristote, l’éternité justifie la finitude causale de l’univers. Pour comprendre cela il faut se souvenir que, selon lui, si les hommes sont issus sans fin, par engendrement par des parents (chaîne causale infinie), sans le soleil, sans sa chaleur (chaîne causale finie), ils ne pourraient pas vivre.
Pour Aristote, « c’est en percevant le mouvement que nous percevons le sens ». Toutefois, les êtres éternels (les sphères célestes) échappent au temps, tandis que les êtres du monde sublunaire sont dans le temps qui est mesuré à partir des mouvements des sphères célestes. Comme ce mouvement est circulaire, le temps est également circulaire d’où le retour régulier des saisons. Le temps nous permet de percevoir le changement et le mouvement. Il marque une différence entre un avant et un après, un passé et un futur. Il est divisible mais sans parties. Il n’est ni corps ni substance et, pourtant, il est.
Il rejette le point de vue des atomistes et considère qu’il est absurde de vouloir réduire le changement à des « mouvements élémentaires insensibles. Pour lui, « la distinction de la « puissance » et de l' »acte », de la « matière » et de la « forme », permet de rendre compte de tous les faits ».
Bien
Toute action tend vers un bien qui est sa fin. Ce qu’on nomme le bien suprême, ou le souverain bien, est appelé par Aristote eudaimonia et désigne à la fois le bonheur et l’eu zën, le bien vivre. Être eudaimon est la plus haute fin de l’être humain, celle à laquelle toutes les autres fins (santé, richesse, etc.) sont subordonnées. C’est la raison pour laquelle le philosophe Jean Greisch proposait de traduire le terme eudaimonia (εὐδαιμονία), par épanouissement plutôt que par bonheur. Pour Aristote, le bien suprême a trois caractéristiques : il est désirable par lui-même ; il n’est pas désirable pour la recherche d’autres biens ; les autres biens sont désirables à la seule fin de l’atteindre.« pour la conduite de la vie, la connaissance de ce bien est d’un grand poids (…) et dépend de la science suprême et architectonique par excellence (qui) est manifestement la politique car c’est elle qui détermine quelles sont parmi les sciences celles qui sont nécessaires dans les cités. »
La fin ultime de l’être humain est aussi liée à l’ergon, c’est-à-dire à sa tâche, à sa fonction qui, pour lui, consiste à utiliser la part rationnelle de l’homme de manière conforme à la vertu (ἀρετή, « aretê ») et à l’excellence. Pour vivre bien, nous devons pratiquer des activités « qui durant toute notre vie actualisent les vertus de la partie rationnelle de l’âme ».
Il existe diverses conceptions du bonheur. La forme la plus commune est constituée par le plaisir, mais ce type de bonheur est propre « aux gens les plus grossiers » car il est à la portée des animaux. Une forme supérieure de bonheur est celui que donne l’estime de la société, car « on cherche à être honoré par les hommes sensés et auprès de ceux dont on est connu, et on veut l’être pour son excellence ». Cette forme de bonheur est parfaitement satisfaisante car « la vie des gens de bien n’a nullement besoin que le plaisir vienne s’y ajouter comme un surcroît postiche, mais elle a son plaisir en elle-même ». Il existe cependant un bonheur encore supérieur : c’est celui que procure la contemplation, entendue comme recherche de la vérité, de ce qui est immuable, de ce qui trouve sa fin en elle-même. Il s’agit là de quelque chose de divin : « ce n’est pas en tant qu’homme qu’on vivra de cette façon, mais en fonction de l’élément divin qui est présent en nous ». Aristote consacre à cette forme de bonheur l’entièreté du dernier livre de son Éthique.
Il ne faut pas confondre richesse et bonheur : « Quant à la vie de l’homme d’affaires, c’est une vie de contrainte, et la richesse n’est évidemment pas le bien que nous cherchons : c’est seulement une chose utile, un moyen en vue d’une autre chose ».