fatum, éternel retour, ataraxie, parrhésie, adiaphora, kathekon
Epictète
Épictète célèbre la liberté absolue de l’homme qui, sur le trône comme dans les chaînes, dans les fers ou torturé, demeure maître de ses représentations.
Les concepts fondamentaux de la doctrine d’Épictète sont les suivants :
- la proairésis, choix rationnel et réfléchi, désir délibéré des choses qui dépendent de nous (la proairésis est une notion aristotélicienne) ;
- la sérénité, ou ataraxie (concept aristotélicien), tranquillité de l’âme que rien ne vient troubler, qui ne craint ni ne désire rien : le sage parvient à l’ataraxie en agissant conformément aux règles qui régissent la nature (kathekon) ;
- la liberté, considérée comme maîtrise des représentations, pensées et opinions, et donc comme pouvoir absolu de l’homme en toute situation (la liberté est, en effet, la puissance d’agir par soi-même au niveau du jugement) ;
- la Raison (logos), principe d’ordre des choses (que l’on retrouve dans le monde et chez l’homme) ;
- la notion de Dieu, conçu comme Raison pénétrant et unifiant le monde auquel elle est immanente. Epictète ajoute à cette conception propre au stoïcisme la notion d’un Dieu « père des hommes » : cette parenté est établie par la Raison.
« Le bonheur ne consiste pas à acquérir et à jouir, mais à ne rien désirer, car il consiste à être libre »
« N’attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ; décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux »
« Il ne dépend pas de toi d’être riche, mais il dépend de toi d’être heureux »
« Notre salut et notre perte sont en nous-mêmes »
« L’essence de la philosophie est qu’un homme devrait vivre de manière à ce que son bonheur dépende aussi peu que possible de causes extérieures »
« Si tu veux avancer dans l’étude de la sagesse, ne refuse point, sur les choses extérieures, de passer pour imbécile et pour insensé »
Parrhésie
La parrhésie est une vertu dans la Grèce antique hellénistique ; le mot est formé du grec ancien pan (« tout ») et rhema (« ce qui est dit ») et trouve ses origines dans la philosophie stoïcienne et épicurienne, doctrines qui prônent la nécessité de la liberté de parole entre amis.
Ethique, physique, logique
Les stoïciens considéraient l’éthique (pragmatique) comme l’élément le plus important de leur philosophie : il s’agissait de savoir comment mener sa vie de la meilleure manière possible. Cependant, ils croyaient également qu’il est difficile de développer une éthique viable sans deux autres composants : comprendre comment le monde fonctionne (la physique), et apprécier la force et les limites du raisonnement humain (la logique).
Eupathos, paix de l’esprit et équanimité
Les stoïciens enseignaient la transformation des émotions afin d’atteindre le calme intérieur. Les émotions – peur, colère, amour… – sont des réactions humaines instinctives face à certaines situations, et ne peuvent être évitées. Mais l’esprit réflexif peut se détacher des émotions brutes et décider si l’on doit donner ou non l’assentiment aux émotions en question, c’est-à-dire si elles doivent être appropriées et cultivées ou non.
Les stoïciens distinguaient le propathos (réaction instinctive) de l’eupathos (sentiments issus d’un jugement réfléchi), leur but était d’atteindre l’apatheia, la paix de l’esprit, qui résulte d’un jugement éclairé et de la persistance de l’équanimité (égalité d’âme, d’humeur).
Biens, maux, adiaphora et kathekon
Philosophie du souverain bien, de la vie heureuse(eudaimonia, souvent traduit par « prospérité »), qui recherche l’ataraxie, le calme de l’âme, par un bon usage de la raison et propose un mode de vie ascétique. A l’opposé de l’épicurisme, dont la finalité est le plaisir, celle du stoïcisme est la vertu.
Les stoïciens distinguaient les objets recherchés par les hommes en trois classes:
- les quatre vertus cardinales reconnues par les stoïciens, considérées comme des biens : la sagesse (sophia), le courage (andreia), la justice (dikaiosyne) et la tempérance (sophrosyne).considérés comme des biens ;
- leurs contraires des maux
les « indifférents » (adiaphora), désirables et indésirables : la richesse, la santé et d’autres biens sont indifférents dans le sens où ils sont moralement neutres (on peut être une personne moralement bonne, que l’on soit riche ou pauvre, vigoureux ou malade), mais certains indifférents sont utiles à la poursuite de nos objectifs, et sont donc désirables, tandis que d’autres sont des entraves, et sont dès lors considérés comme indésirables.
Kathekon (du grec ancien Καθῆκον, au pluriel kathekonta, καθήκοντα) est un concept stoïcien fondé par Zénon de Cition. Il peut être traduit comme « action appropriée », ou « action convéniente avec la nature » ou encore « fonction propre ». Le terme a été traduit en latin par officium par Cicéron, et convenentia par Sénèque. Les kathekonta sont contrastés, dans la morale stoïcienne, avec les katorthomata, ou « actions parfaites ». Selon les stoïciens, l’homme (et tous les êtres vivants) doivent vivre en accord avec la nature (phusis), ce qui est le premier sens de kathekon.
Stobée (II, 85, 13 – 86) donne cette définition de la fonction propre : « La conséquentialité dans la vie, quelque chose qui, une fois qu’il a été accompli, a une justification raisonnable ».
« Zénon, (…) tout ce qui touchait à la vie heureuse, il le ramena à la seule vertu. Il ne compta rien d’autre au nombre des biens, et appela ‘beau’ [kalon en grec] le simple, l’unique, le seul bien. Quant aux autres choses, disait-il, bien qu’elles ne fussent ni bonnes ni mauvaises, certaines étaient conformes, d’autres contraires à la nature. Il en comptait d’autres encore, placées entre ces deux classes et ‘intermédiaires’. Il enseignait que les choses conformes à la nature étaient acceptables et méritaient une certaine estime ; pour celles qui allaient contre la nature, c’était tout le contraire. Celles qui n’appartenaient à aucune de ces deux classes, il les laissait parmi les choses intermédiaires ; à ces dernières, il n’accordait absolument aucune valeur [axia en grec]. Mais, parmi les choses acceptables, les unes méritaient plus d’estime [vie, richesse, plaisir], les autres moins [mort, pauvreté, douleur]. Les premières, il les appelait ‘préférées’ [proêgmena en grec], les autres ‘rejetées’ [apoproêgmena en grec]. »
Cicéron, Les académiques, I, X, § 35-36.
D’où il suit que le devoir est quelque chose d’intermédiaire qu’on ne compte ni parmi les biens, ni parmi les maux ; et, comme dans ce qui n’appartient ni aux vertus ni aux vices il peut y avoir quelque chose qui nous soit d’un secours véritable, on doit se garder de le retrancher. Mais il y a dans cette classe intermédiaire telle action que la raison veut qu’on fasse ; or, ce qui est fait avec raison, c’est ce que nous appelons devoir. On voit donc comment le devoir est du genre des choses qui ne doivent être mises ni parmi les biens ni parmi les maux.
Cicéron, De Finibus Bonorum et Malorum, III, 58
Épictète indique trois sujets de l’éthique (Entretiens, III, 2), qui se rapportent aux exercices que l’on doit suivre pour devenir homme de bien :
- Les désirs et les aversions : ne pas manquer ce que l’on désire, ne pas tomber sur l’objet de l’aversion,
- Les impulsions et les répulsions, c’est-à-dire ce qui concerne la fonction propre (kathekon – agir avec ordre, raisonnablement et sans négligence),
- Éviter l’erreur et la précipitation, c’est-à-dire ce qui concerne l’assentiment (proairésis).
« Vient en premier la valeur que tu attribues à chaque chose, en second l’impulsion, ordonnée et mesurée, que tu as vers les choses, en troisième la réalisation d’une convenance entre ton impulsion et ton acte, de façon qu’en toutes ces occasions tu sois en accord avec toi-même. »
Sénèque, Lettres
Le cycle cosmique et l’éternel retour
L’ensemble du monde a un cycle : le feu, ou force active (Zeus), absorbe et réduit en lui-même toutes les choses. Tout recommence ensuite à l’identique, après la fin du monde dans une conflagration (apocatastase ou palingénésie) où toutes choses sont rentrées dans la substance divine. Cette conflagration est une purification du monde : l’Âme du monde absorbe toute la matière en restituant un état parfait par un changement conforme à la nature.
Du feu primitif, naissent les quatre éléments et le monde naît sous l’action d’un souffle divin. Ensuite, par la fragmentation du souffle, naissent les êtres individuels qui forment le système du monde. C’est ce souffle qui fait l’unité du monde, en le parcourant et en maintenant ses parties. Ce souffle est une force, une pensée et une raison qui contient tout et fait que sous l’action de sa tension l’être existe. Ce souffle crée une sympathie entre toutes les parties du monde. Quant à la Terre, elle est au centre, pressée de tout côté par l’air. Tout recommence exactement pareil et sans fin. C’est l’éternel retour.
La causalité et le destin
Tout ce qui arrive est conforme à la nature universelle, puisque tout agit suivant une cause totale, qui lie toutes les causes entre elles.
Selon le traité du destin de Cicéron, la notion de fatum (destin) est commune aux trois parties de la philosophie, en ce sens qu’elle implique à la fois la physique (le destin est le principe de l’ordre cosmique), l’éthique (accord du destin avec la responsabilité morale) et la logique (problème des énoncés portant sur les futurs contingents). Le fatalisme est donc une notion fondamentale du stoïcisme :
« Conduisez-moi, Zeus et toi Destinée, vers où vous l’avez disposé pour moi. Car je suivrai sans faillir. Mais si je devenais méchant et si je ne le voulais pas, je ne suivrais pas moins. »
Cléanthe, cité par Épictète, Manuel
La théologie divise stoïciens et épicuriens. Les Dieux existent chez les épicuriens : ils sont matériels et confinés dans des arrières-mondes tandis que le stoïcisme est un panthéisme : l’ordre de la nature (c’est-à-dire celui d’une suite de causalités, un ordre de la nécessité) est identifié à l’action de ce que Marc Aurèle appelle Dieu, substance immanente au monde (Dieu est un corps).
C’est le fatum, le destin. Cela s’exprime par la métaphore du chien et du chariot. Un chien qui tire un chariot est libre d’épouser la trajectoire du chariot ou bien de s’y opposer vainement. Il n’y a pas ici fatalisme mais liberté d’acquiescement ou non à l’ordre du monde. Le choix des représentations associées aux évènements dépend de nous, malgré le fait que l’ordre dans lequel ils se déroulent est le fait de Dieu, de la volonté de la nature.
« Ce qui trouble les hommes ce ne sont pas les choses mais les opinions qu’ils en ont. »
Manuel d’Epictète
Ce qui dépend de nous, c’est l’atteinte de l’ataraxie, de l’absence de troubles et passions, une tranquillité de l’âme, une paix intérieure, que les stoïciens assimilent au bonheur véritable, résidant dans la parfaite maîtrise de nos représentations (c’est-à-dire conformes à l’ordre naturel et divin) que le sage stoïcien acquiert au moyen de sa vertu première : la tempérance.
Politique
« La République, ouvrage très admiré de Zénon, tend à ce point principal unique, que nous ne devrions pas vivre répartis en cités ni en peuples, chacun défini par ses propres critères de la justice, mais que nous devrions considérer tous les hommes comme des compatriotes et des concitoyens, et qu’il y ait un mode de vie et un monde uniques, comme pour un troupeau nourri ensemble dans le même pâturage sous une loi commune. Zénon a écrit cela comme s’il avait brossé le tableau d’un songe ou d’une image représentant une bonne législation et une république philosophiques. »
Plutarque, De la fortune d’Alexandre